3. Caractérisation toxique des mycotoxines

Nous avons longuement étudié, dans le passé, les effets des mycotoxines sur la réponse immunitaire systémique. Nous orientons maintenant nos recherches sur les effets de ces toxines sur l'intestin (première cible des toxiques présents dans la nourriture), en particulier à la toxicité des mélanges de mycotoxines.

Effet des mycotoxines sur le système immunitaire systémique
Au cours des dix dernières années, nous avons étudié les effets des trois mycotoxines les plus problématiques en élevage (le déoxynivalenol: DON, la fumonisine B1: FB1 et l'aflatoxine B1: AFB1) sur la réponse immunitaire des porcelets. Nous avons émis l'hypothèse que, même lorsqu'elles sont présentes à de faibles doses, ces mycotoxines peuvent altérer la réponse immunitaire, en augmentant la sensibilité aux maladies infectieuses et en diminuant l'efficacité des vaccins.

Chez les porcelets, l'ingestion d'aliments contaminés par la FB1 ne modifie pas la réponse en anticorps totaux, mais nous observons une diminution significative de la réponse des anticorps spécifiques. In vitro, la FB1 inhibe d'une manière dose dépendante, la prolifération des lymphocytes (Marin et al., 2007) et modifie la production de cytokines (Taranu et al, 2005;. Marin et al, 2006.). Cette mycotoxine augmente la synthèse d'IFN-g (cytokine Th1, importante dans la réponse cellulaire) et diminue la synthèse d’IL-4 (cytokine Th2 impliquée dans la réponse humorale). Ainsi, nous proposons qu'en raison de son action sur la prolifération des lymphocytes et sa capacité à moduler la réponse des cytokines vers une réponse Th1, la FB1 diminue la réponse immunitaire spécifique qui est élaborée lors d’une vaccination. L'ingestion de FB1 a été également associée à une augmentation de la sensibilité aux infections intestinales et pulmonaires (Halloy et al, 2005;. Devriendt et al, 2010.)
Une expérience dose-dépendante indique qu’une concentration inférieure à 1 mg DON/kg d'aliment a peu d'impact sur la réponse immunitaire des animaux (Accensi et al., 2006). L'ingestion de doses plus élevées de DON affecte de manière significative la réponse immunitaire globale et spécifique des porcs. Le DON ne module pas la prolifération des lymphocytes après stimulation mitogénique, mais la toxine a un effet bi-phasique sur la prolifération des lymphocytes après stimulation antigénique. Dans le ganglion mésentérique, une expression significativement plus faible des niveaux d’ARNm codant pour le TGF-b et l'IFN-g a été observée chez les animaux nourris avec de l’aliment contaminé par le DON (Pinton et al., 2008). Au niveau cellulaire, le DON modifie l'activation des macrophages (Waché et al., 2009) et altère les capacités fonctionnelles des neutrophiles.
L'exposition des porcelets à AFB1 diminue et ralentit la prolifération des lymphocytes spécifiques en réponse à un antigène vaccinal, suggérant une diminution de l'activation des lymphocytes. Chez ces animaux, une augmentation de l'expression de l'IL-6 dans la rate a été observée. De plus, l’addition d'IL-6 diminue la prolifération antigénique, mais pas mitogénique. En raison de l'effet de l'IL-6 sur la maturation des cellules dendritiques, nous suggérons que par son action sur l'IL-6, AFB1 interfère avec la présentation des antigènes aux lymphocytes et diminue donc leur réponse spécifique proliférative (Meissonnier et al., 2008).

En conclusion, nos études indiquent que les mycotoxines, lorsqu'elles sont présentes à des concentrations compatibles avec celles rencontrées dans l'alimentation animale, modifient la réponse vaccinale des porcelets. Selon leur nature, les toxines peuvent agir sur les réponses immunitaires humorales ou les cellulaires avec des mécanismes impliquant une action sur la synthèse des cytokines. L'effet des mycotoxines sur la réponse immunitaire spécifique peut avoir des conséquences pour l’Homme et les animaux consommant des aliments contaminés. La diminution de l'immunité vaccinale peut entraîner l'apparition de la maladie même dans les populations correctement vaccinées.

Effet des mycotoxines sur l’environnement intestinal
L'intestin est un site privilégié où les mécanismes immunitaires immuno-régulateurs ont pour rôle simultanément de défendre contre les agents pathogènes, mais aussi de préserver l'homéostasie des tissus afin d'éviter une pathologie auto-immune en réponse aux défis environnementaux. L’épithélium intestinal, à l'interface entre l'environnement luminal hautement antigénique et le système immunitaire des muqueuses, joue un rôle actif dans la réponse immunitaire de la muqueuse intestinale avec l'action coordonnée de cellules immunitaires et non immunitaires, notamment les cellules dendritiques, les macrophages et les cellules épithéliales. Les cellules dendritiques collaborent avec les cellules épithéliales intestinales comme des sentinelles contre les antigènes particulaires étrangers par la construction d'un réseau cellulaire interactif trans-épithélial.

Notre recherche s’intéresse particulièrement aux effets des mycotoxines sur l'intestin en concentrant nos activités sur les effets de ces toxines sur les cellules épithéliales et les cellules dendritiques, mais aussi sur les interactions existant entre ces deux types cellulaires.

Effet des mycotoxines sur les cellules épithéliales intestinales (IECs)
La mise en place de la monocouche épithéliale par les IECs dépend d'un degré très élevé d’organisation intracellulaire et intercellulaire. Après l'ingestion d'aliments contaminés par les animaux, les cellules épithéliales intestinales peuvent être exposées à une forte concentration de mycotoxines. L'exposition des IECs à ces toxines peut altérer leur capacité à proliférer et à assurer une fonction de barrière adéquate. Les fusariotoxines sont les plus présentes dans les pays à climats tempérés (Europe, Canada, Etats-Unis). Les enquêtes concernant leurs effets sur les fonctions de barrière intestinale ne font que commencer. Nous avons démontré que la FB1 et le DON induisaient une diminution dose-dépendante de la résistance électrique transépithéliale (TEER) d'une lignée de cellules épithéliales intestinales porcines. La fFB1 diminue la capacité des cellules épithéliales à proliférer et à produire de l'IL-8. Comme cette cytokine est impliquée dans le recrutement des neutrophiles, on peut imaginer que l’exposition à la FB1 peut alterer la réponse immunitaire innée (Bouhet et al, 2004; Bouhet et al, 2006). Concernant le DONla réduction observée du TEER est due à une altération des propriétés des jonctions étanches de la barrière épithéliale tel que démontré par l'effet sur la perméabilité paracellulaire de traceurs ou de bactéries (Pinton et al., 2009). Le mécanisme expliquant cette altération des fonctions de barrière induit par les trichothécènes implique la diminution de l'expression de protéines claudines et de la voie MAPK (Pinton et al., 2010).
Nous allons maintenant mettre l'accent sur le profil transcriptomique du tissu intestinal en réponse au DON en utilisant des explants intestinaux traités in vitro avec la toxine (Kolf-Clauw et al., 2009) ainsi que dans les tissus intestinaux prélevés sur des animaux contaminés par le DON (Pinton et al., 2008).

Effet des trichothecenes sur les cellules dendritiques intestinales
L’immunosuppression induite par les trichothécènes ne peut être exclusivement provoquée à l'apoptose des leucocytes. En effet, les cellules dendritiques, qui sont des cellules professionnelles, présentatrices d'antigènes et responsables de l'initiation et la suppression des réponses immunitaires, sont des médiateurs probables des effets suppresseurs des trichothécènes sur le système immunitaire. Le DON peut interférer avec la maturation et la fonction intestinale des cellules dendritiques. Cet aspect n'a jamais été étudié et fait l'objet de nos recherches actuelles. Dans ces expériences, nous utilisons dans les cellules dendritiques dérivées de monocytes et de la moelle osseuse, avec pour objectif final de connaitre et comprendre l’effet de ces toxines sur les cellules dendritiques intestinales. Nous avons démontré que FLT3-ligand peut être utilisé pour identifier ces cellules dendritiques (Guzylack-Piriou et al., 2010)

Effet des trichothécènes sur le cross-talk entre les cellules issues de l’intestin
Les effets des trichothécènes sur les différents types cellulaires impliqués dans l'homéostasie intestinale peuvent expliquer les différentes pathologies associées à l'ingestion de mycotoxines des aliments contaminés. Tout d'abord, le DON peut potentialiser l'effet de l’IL1-b sur la sécrétion d'IL-8 et d'augmenter le passage transépithélial des bactéries commensales (Pinton et al., 2009). IL-8 a été impliqué dans de nombreuses maladies chroniques allant des maladies inflammatoires de l'intestin à l'arthrite rhumatoïde. En plus de potentiellement exacerber l’inflammation intestinale établie, cette mycotoxine peut ainsi participer à l'induction de la septicémie et l'inflammation intestinale in vivo (Bouhet et Oswald, 2005). En effet, les maladies inflammatoires de l'intestin, comme la maladie de Crohn, sont généralement associées à la présence de bactéries adhérentes-invasives. Une hypothèse serait qu'au moins dans certains cas, l'ingestion d'aliments contaminés par des mycotoxines pourrait l'induire les maladies inflammatoires de l'intestin.

Dans quelle mesure le DON interfère dans le cross-talk entre les DC et les cellules épithéliales fait l'objet de nos recherches actuelles. La capacité des DCs de l'intestin à promouvoir la domiciliation des lymphocytes dans l’intestin est attribué à l'expression d'enzymes hydrogénase rétinoïdes (RALDH) permettant la conversion de la vitamine A alimentaire en acide rétinoïque (RA), qui permet l’induction des marqueurs de domiciliation sur les cellules T. L'acide rétinoïque induit la différenciation d’une sous-population de lymphocytes T : les cellules T régulatrices, qui joue un rôle important pour le maintien de la tolérance immunitaire de l'intestin. Par conséquent, l’acide rétinoïde induit à la fois des signaux positifs et négatifs permettant le contrôle du système immunitaire muqueux. Nous émettons l'hypothèse que le DON peut affecter la capacité des cellules dendritiques de l’intestin à interagir avec les cellules épithéliales intestinales.

Co-contamination et toxines émergentes
Fusarium est l'espèce fongique la plus souvent retrouvée comme contaminant des céréales dans des régions tempérées. Parmi des toxines produites par Fusarium, le DON, la FB1 et la Zéaralenone sont les plus fréquemment détectés. Cependant, en plus de ces toxines, les champignons du genre Fusarium produisent aussi d'autres métabolites secondaires toxiques appelées "mycotoxines émergentes. Grâce aux évolutions des techniques de détection, il a été mis en évidence dans certaines matières premières des quantités non négligeables de mycotoxines telles que la fusaproliférine, la beauvéricine, la moniliformine et des enniatines mais également les dérives du deoxynivalenol. Se pose donc l’intérêt d’une meilleure connaissance de leurs effets toxiques potentiels et des interactions possibles entre plusieurs mycotoxines.
Le premier objectif de nos études est de caractériser les effets toxiques de ces molécules sur la fonction de barrière intestinale à l’aide de divers modèles in vitro de cellules épithéliales intestinales et du modèle d’explants intestinaux de porcs. Les investigations portent sur l’évaluation d’une part de divers paramètres de cytotoxicité, et d’autre part des modifications des propriétés fonctionnelles de la barrière intestinale pour caractériser les mécanismes d’action de ces mycotoxines.Le deuxième objectif de nos recherches est d’étudier les effets de co-contamination entre les mycotoxines (entre mycotoxines majeures et entre les mycotoxines majeures et les mycotoxines émergentes). Il s’agit ici de déterminer le type d’interactions (additif, synergique ou antagoniste). Dans une première étape nous avons examiné l'effet combiné des deux fusariotoxines majeures, le DON et la FB1 sur des porcs. Nous avons utilisé de niveaux de contamination bas qui n'ont pas provoqués de signes cliniques, mais qui ont induit des lésions microscopiques, ainsi que des altérations de la réponse immunitaire et de l'intégrité intestinale. Le régime co-contaminé a provoqué des effets plus importants que les régimes individuels, en particulier sur le foie, sur la mise en place de la réponse immunitaire spécifique, et sur les protéines impliquées dans la perméabilité intestinale (Grenier et al., 2010).