Ils sont 3 chercheurs INRAE spécialistes des plastiques, avec des approches complémentaires : Xavier Cousin, physiologiste étudiant leurs effets sur les poissons, Marie-France Dignac, géochimiste qui travaille sur les microplastiques dans les sols, et Muriel Mercier-Bonin, toxicologue spécialisée dans les effets des microplastiques sur la sphère digestive. Au fil de leurs travaux sur les plastiques et d’une prise de conscience de leurs effets nocifs, une volonté de s’impliquer émerge.
« Lors du CIN-2 (2e session du Comité intergouvernemental de négociation) à Paris, je n’étais pas accréditée, mais j’ai pu assister aux événements parallèles, raconte Marie-France Dignac. C’est là que j’ai compris à quel point nos recherches pouvaient peser dans les débats. » Au cours de cette période, les 3 spécialistes rejoignent la Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques, un collectif international créé en 2022. Réunissant plus de 450 scientifiques de plus de 65 pays cette coalition s’est formée pour combler l’absence d’organe scientifique officiel associé aux négociations du traité sur les plastiques, contrairement aux négociations internationales portant sur le climat ou la biodiversité.
Avec le soutien d’INRAE, Xavier Cousin, Marie-France Dignac et Muriel Mercier-Bonin sont parvenus à intégrer la délégation française dès le CIN-3, avec un statut d’observateur. Un statut particulier, qui leur permet d’accéder aux espaces de travail sans représenter officiellement la position de la France, tout en maintenant leur impartialité. « Rejoindre une ONG était aussi une option, mais cela aurait pu compromettre l’indépendance et la rigueur scientifique que nous tenions à préserver dans ce débat », précise Marie-France Dignac.
Une implication qui s’inscrit dans une dynamique scientifique nationale plus large : tous trois sont membres du groupement de recherche (GDR) « Plastiques, environnement, santé », qui fédère la communauté scientifique française sur ces enjeux. Xavier Cousin y siège au comité de direction, Marie-France Dignac et Muriel Mercier-Bonin au comité scientifique.
Un appui direct aux négociateurs
À Nairobi (CIN-3), à Ottawa (CIN-4) puis à Busan (CIN-5.1), les 3 scientifiques s’organisent avec d’autres chercheurs internationaux (71 à Busan) dont une douzaine de francophones, formant un groupe soudé pour appuyer directement les négociateurs. Leur rôle est multiple : identifier les besoins des délégués, répondre aux demandes urgentes, et apporter les éclairages scientifiques nécessaires. Selon les cas, il peut s’agir d’expliquer les conséquences d’un choix réglementaire, clarifier des notions souvent confondues, comme la différence entre bioplastique et biodégradable, ou encore rectifier des arguments scientifiquement infondés.
« En tant que membres actifs de la coalition, nous sommes aussi sollicités pour relire ou contribuer à des documents, des articles, des propositions », complète Muriel Mercier-Bonin. « On sent que notre travail a du sens, qu’il s’inscrit dans une dynamique collective ambitieuse. C’est exigeant, parfois épuisant, mais cela crée aussi une cohésion très forte et une énergie collective incroyable ». Une dynamique qu’elle observe également chez les plus jeunes : « Je suis impressionnée par l’investissement et les compétences des jeunes chercheurs, français et plus largement. Ils apportent énormément au processus, à toutes les étapes des négociations. »
« Alerter fait partie de notre rôle »
« Si nous poursuivons sur la trajectoire actuelle, bientôt plus personne ne pourra bénéficier d’un environnement sain sur la planète » - Marie-France Dignac
Si les chercheurs ont su trouver leur place parmi les nombreux acteurs déjà engagés auprès des délégations, ONG, industriels ou lobbies, c’est grâce à l’indépendance scientifique qu’ils incarnent. Bénévoles, sans intérêt commercial ou politique, ils revendiquent un unique objectif : « fournir les informations les plus rigoureuses et impartiales à propos des risques environnementaux et sanitaires liés aux plastiques », résume Marie-France Dignac.
« Alerter fait partie de notre rôle de scientifiques », insiste la chercheuse INRAE, également élue au comité de pilotage de la Coalition des scientifiques. Et il y a urgence : désormais, les plastiques s’accumulent partout. Dans les océans, les sols, les organismes vivants, jusqu’aux environnements les plus reculés comme les neiges de l’Arctique. « Si nous poursuivons sur la trajectoire actuelle, bientôt plus personne ne pourra bénéficier d’un environnement sain sur la planète », avertit à ce propos la spécialiste des sols. Ce constat n’est plus seulement scientifique, il soulève une question de justice environnementale. Le droit à un environnement sain, désormais reconnu comme droit humain fondamental par l’ONU, pourrait devenir inapplicable à l’échelle mondiale.
Au CIN-4, les scientifiques constatent un réel besoin d’éclairage scientifique ou technique chez certains délégués, souvent mobilisés sur plusieurs fronts - climat, biodiversité, désertification - sans toujours disposer d’une équipe d’experts spécifique sur les plastiques. « Trois grands points de confusion revenaient régulièrement », a constaté Xavier Cousin.
- Le premier point est la distinction entre biodégradable, bioplastique et biosourcé. « Le terme bioplastique est souvent utilisé de manière floue, parfois volontairement pour suggérer un bénéfice écologique qui n’est pas toujours réel »
- Le deuxième concerne le recyclage, parfois perçu comme une solution unique : « Un lobbying très actif le présente comme un remède à tous les problèmes, ce qui tend à surestimer son efficacité face à la crise liée aux plastiques ».
- Troisième point d’alerte : les substances chimiques associées aux plastiques, qui peuvent être libérées dans l’environnement ou les aliments pendant toute la durée de vie des plastiques, de la production à la fin de vie. « L’incinération à ciel ouvert reste pratiquée dans certaines régions, avec des effets particulièrement délétères pour la santé. Les échanges que nous avons eus attestent que ces risques demeurent encore largement méconnus », souligne Xavier Cousin.
Une expertise scientifique collective INRAE-CNRS de référence sur les plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation
Publiée en mai 2025, cette expertise collective a mobilisé 30 chercheurs européens et plus de 4 500 références scientifiques pour dresser un état des lieux des usages, des propriétés et des impacts des plastiques tout au long de leur cycle de vie. Le diagnostic est préoccupant : les plastiques sont omniprésents, jusque dans l’air, l’eau, les sols, les aliments et les organismes vivants. En France, les sols agricoles apparaissent comme des réceptacles majeurs de cette pollution, en particulier du fait des apports issus des composts urbains. L’expertise souligne aussi les risques liés aux plastiques alimentaires, dont certains composants (comme les bisphénols ou les phtalates) peuvent migrer vers les aliments et agir comme perturbateurs endocriniens une fois dans l’organisme. Le rapport appelle à une régulation renforcée dès la conception des plastiques, à une limitation de leur production et de leur usage, et à une gouvernance internationale mieux structurée.
Lutter contre les fausses informations
La désinformation a représenté un réel frein lors des négociations. « Certaines affirmations étaient contraires à tout ce que nous savons scientifiquement », déplore Muriel Mercier-Bonin, évoquant une discussion sur la taille des microplastiques. « Certains délégués ne comprenaient pas pourquoi ce sujet était abordé dans le traité, comme si la pollution plastique relevait uniquement de la gestion des déchets ».
« Nous avons assisté à plusieurs scènes de désinformation » Xavier Cousin
Pourtant, ces particules invisibles à l’œil nu sont désormais présentes dans tous les milieux, et leur capacité à franchir les barrières biologiques et à transporter des substances chimiques toxiques en fait un enjeu central pour la santé humaine et l’environnement, rappelle la spécialiste des effets des micro- et nanoplastiques sur la sphère digestive. « Il y avait aussi, par exemple, cette idée que la toxicité des substances chimiques dépend des régions », abonde Xavier Cousin. « Certes, la température ou d’autres paramètres peuvent influencer certains effets, mais ce genre d’argument est scientifiquement infondé et nous avons assisté à plusieurs scènes de désinformation », regrette le chercheur.
Deux visions du traité s'affrontent
Les négociations peinent à aboutir et révèlent deux visions opposées du traité.
- Une approche ambitieuse, portée par un large front d’États, d’ONG et de scientifiques. Cette vision est défendue notamment par la Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique, réunissant 67 pays, parmi lesquels la France, le Rwanda, la Norvège ou le Canada. L'alliance plaide pour des objectifs contraignants de réduction de la production de plastique vierge, un encadrement strict des substances chimiques, et une gouvernance fondée sur la science.
- Certains pays producteurs de pétrole et/ou de plastique soutiennent une version limitée du traité, centrée sur les solutions technologiques, le recyclage et la gestion des déchets. La Coalition des scientifiques alerte sur cette conception restrictive : sans réduction drastique de la production, les solutions techniques en aval resteront considérablement insuffisantes pour répondre à la crise.
Si leur expertise a permis d’éclairer les négociateurs sur les fondements scientifiques du traité, les chercheurs eux-mêmes se sont confrontés à des récits de terrain qui ont nourri leur réflexion et déplacé leur regard scientifique. « Nous avons été touchés par les témoignages des peuples autochtones et des communautés locales, et avons, par exemple, tous les trois découvert le rôle des waste pickers, les récupérateurs de déchets », développe Muriel Mercier-Bonin. « Ces populations vivent au quotidien les effets de la pollution plastique, dans des conditions très dures. Leurs témoignages montrent que nous ne sommes pas tous égaux face aux impacts de cette pollution, et ces récits changent la manière dont on perçoit notre propre activité scientifique, une fois de retour au laboratoire. »
Préparer la suite des négociations
À l’approche de la prochaine session de négociation du traité (CIN5.2), prévue en août 2025, les 3 chercheurs INRAE poursuivent leur travail de sensibilisation. Pour la Coalition des scientifiques, ils ont coordonné, cosigné et traduit en français plusieurs analyses du texte de traité en discussion, portant sur les fuites de plastiques dans l’environnement, les substances chimiques ou encore les enjeux sanitaires.
Sollicités en France par les ministères impliqués dans les négociations (ministère de la Transition écologique et ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et les conseillers diplomatiques de l’Élysée, ils apportent des données scientifiques et leur expertise pour éclairer les options réglementaires et consolider la position française.
Des messages scientifiques également portés par Xavier Cousin et Marie-France Dignac à la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), organisée à Nice en juin 2025. À quelques semaines de la reprise des négociations à Genève, le sommet a aussi marqué un tournant politique : avec l’appel de Nice, la France a fédéré 95 États pour « un traité ambitieux sur les plastiques ». Une manière de rappeler que face à cet enjeu mondial, seuls la coopération internationale et l’adossement à une science d’exigence permettront d’aboutir à un accord à la hauteur de la crise plastique.
https://www.inrae.fr/actualites/traite-mondial-plastiques-scientifiques-inrae-engages-negociations